crédit photo:: janik Lierfield

À l’automne 2018 s’est concrétisée une étape essentielle du Projet Tunis, soit l’ouverture d’une antenne du Collège de Maisonneuve dans la capitale tunisienne. Il s’agit d’une première délocalisation du DEC pré-universitaire depuis l’implantation des cégeps et l’intérêt pour cette expérience dépasse déjà les murs de notre institution, comme en témoigne entre autres l’article du journal La Presse publié cet automne à ce sujet (http://www.lapresse.ca/actualites/education/201809/02/01-5195039-aller-au-cegep-en-tunisie.php). Par ce projet, le Collège entre dans le vaste mouvement de l’internationalisation de l’éducation, qui traîne avec lui son lot d’espoirs et de craintes. Afin d’éclairer le débat, il apparaît opportun de rapporter dans le présent article les discussions et les conclusions de l’atelier « Internationalisation de l’enseignement supérieur » qui s’est tenu le 4 mai 2018 dans le cadre de la seconde édition des États généraux de l’enseignement supérieur (ÉGES).

Les participant.e.s à l’atelier ont montré au cours des discussions un intérêt nourri par des années de réflexion au sujet de l’internationalisation de l’éducation. Les interventions furent donc instructives et raisonnées. Plusieurs points négatifs et craintes ont été évoqués et exemplifiés, comme la tendance des institutions à cibler certains étudiant.e.s (les plus riches) pour certains domaines particulièrement payants (économie, sciences de la nature,  médecine, etc.), limitant ainsi l’intérêt des institutions pour des domaines déjà négligés comme les sciences sociales et les arts. La présence d’étudiant.e.s étrangers dans les universités augmente aussi la tendance à déplafonner les frais de scolarité qu’on leur facture, exerçant ensuite une pression pour favoriser l’inscription d’étudiant.e.s étrangers parfois au détriment des étudiant.e.s locaux. Cette course aux étudiant.e.s payant.e.s venu.e.s d’ailleurs accentue également la compétition entre les institutions. On note même qu’il y a tendance parfois à favoriser le développement de cours spécifiques pour l’internationalisation en défavorisant les programmes habituels. Cependant, si la manne étrangère intéresse les universités et les collèges, les services qui s’adressent spécifiquement à ces étudiant.e.s et qui coûtent cher ne sont pas toujours mis en place adéquatement : par exemple, les structures d’accueil qui favorisent l’inclusion des étudiant.e.s étrangers dans leur nouveau milieu ou les aides d’appoint en langue ne font pas toujours partie des priorités des institutions.

Des aspects positifs de l’internationalisation ont aussi été soulignés, principalement par une chargée de cours d’origine chinoise et un étudiant sénégalais. Il est intéressant de souligner ce fait, car les intervenant.e.s originaires du Québec paraissaient quasi unanimement dénoncer l’internationalisation pour les raisons déjà citées. Ces deux étudiant.e.s ont d’abord tenu à préciser que l’internationalisation est l’occasion pour de nombreux pays de rattraper certains retards en matière d’éducation. À ce sujet, alors que d’autres intervenant.e.s exprimaient leurs craintes par rapport à l’exode des cerveaux que subissaient des pays moins développés au profit de puissances économiques, ils ont tous deux souligné combien les choses ont changé à ce sujet depuis quelques décennies : les raisons de quitter ne sont plus nécessairement économiques ou politiques et de nombreux étudiant.e.s partent pour acquérir des connaissances spécifiques avec l’objectif de retourner dans leur pays d’origine après les études complétées.

D’ailleurs, la chargée de cours a développé l’idée que les échanges devaient se dérouler dans les deux sens : non seulement les étudiant.e.s étrangers peuvent-ils se frotter à d’autres réalités en étudiant ailleurs, mais il serait souhaitable aussi que l’université d’accueil laisse plus de place à l’expression des connaissances spécifiques des étudiant.e.s étrangers, qui pourraient ainsi bonifier les cours en apportant des informations et un point de vue internationaux tout en se sentant mieux intégrés, leur plus faible connaissance des réalités québécoises se trouvant palliée par l’ouverture à d’autres réalités. Plusieurs intervenant.e.s rappelèrent qu’il faut veiller à ce que l’internationalisation demeure axée sur la coopération afin d’être bénéfique de tous les côtés, ce qui calmerait par la même occasion la crainte que l’internationalisation constitue une forme de néocolonialisme. Enfin, on a rappelé également les lacunes en matière d’accompagnement des étudiant.e.s étrangers qui nuisent à leur intégration. Plus d’efforts dans l’apprentissage de la langue, dans la lutte contre l’isolement et dans l’intégration à la culture universitaire québécoise permettrait de faciliter la vie aux étudiant.e.s étrangers et par ricochet, leur participation accrue améliorerait l’expérience pour tout le monde.

On voit donc que la question de l’internationalisation de l’éducation en est une des plus actuelles et des plus complexes. Si la nuance s’impose entre enthousiasme aveugle et condamnation véhémente, il reste que la communauté maisonneuvienne a le devoir de s’intéresser de près à cette aventure et de veiller à ce qu’elle enrichisse tous ses participants sans jouer au détriment de l’un ou l’autre des partenaires, surtout dans la perspective où nous sommes appelé.e.s à être pionniers et pionnières dans l’internationalisation de l’éducation collégiale québécoise.

Marc LeBlanc
Département de Lettres

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