Il n’y a pas si longtemps, je me demandais pourquoi je m’entêtais à travailler au Collège de Maisonneuve. Déceptions à répétition au niveau professionnel. Aucune reconnaissance de mon employeur. Incompréhension totale à la direction des études. Je venais travailler sur le pilote automatique, je donnais mes cours et je disparaissais. Hors de question d’en donner plus à une institution qui, elle, m’en redonnait si peu. Une maudite chance que je suis permanent… comme on me l’a déjà fait remarquer parce qu’enseigner en allemand, c’est plus un privilège qu’un emploi.

Ce n’est pas facile de ne pas aimer son milieu de travail.

Afin de pallier ce trou noir professionnel, j’ai décidé à la fin de l’année scolaire 2016-17 de m’impliquer dans des projets que je trouvais motivants au Collège et que j’allais essayer de favoriser des rencontres avec des collègues stimulants. Syndicat. Communauté de pratique. Visite du projet SLA à Tremblant. De fil en aiguille : le projet Gaspésie 2018.

J’en avais entendu parler comme d’un projet un peu fou de professeurs et d’employés se ramassant en Gaspésie pour tripper plein air, mais aussi pour essayer de tricoter le mieux vivre ensemble. Vivre ensemble. Voilà qui est plus facilement dit que fait.

Première rencontre préparatoire. Le ton est à la beauté, au magnifique que nous vivrons. Il y aura de tout, pour tous et pour tous les niveaux. Athlète ou pas, cela n’a que peu d’importance. Vivre ensemble en Gaspésie, voir du pays et se demander comment faire de Maisonneuve un endroit où il fait bon étudier et par ricochet… travailler. J’embarque. Nous serons huit par chalet. Professeurs, professionnels et personnel de soutien. Départ le 7 janvier, surlendemain de la méga tempête de neige qui a balayé l’est du Québec. 50 centimètres de neige : ça promet!

Jour 1. Montréal – Gîte du Mont-Albert

La route pour la Gaspésie, c’est beau, mais c’est long. Entre 8 et 10 heures de route. Je suis avec Guylaine et Andrée. Départ à 6 h de Montréal. Chacun raconte sa vie, son parcours, ses voyages. Arrêt dîner à Mont-Joli aux portes de la Gaspésie. Alors que j’attends en file pour la toilette, une grande dame haïtienne m’interpelle : « Heille, t’es dans le projet Gaspésie toé avec ?! On va être dans le même chalet! » Je ne la connais ni d’Ève ni d’Adam. Voici Nathalie avec qui je partagerai le chalet pendant les 5 jours. On fait connaissance. On se dit à tantôt et on continue la route. Arrivée au Gîte du Mont-Albert à la noirceur. Comité d’accueil. Apéro. On est contents d’être arrivés. Je me sens comme en camp de vacances : excité et fébrile. C’est l’aventure qui commence.

Le vrai jour 1 – Le raid.

La veille au soir, nous avons formé des équipes pour le raid. Objectif : mieux connaître des gens du groupe et connaître les alentours. Nous sommes partis pour 5 heures d’aventure dans le bois. Nous devons trouver des balises cachées, donc s’activer physiquement. Raquette et ski de fond au programme. On doit aussi s’activer l’esprit avec des questions scientifiques liées à notre emploi à Maisonneuve et des questions pédagogiques. Qui sont nos étudiants ? Qu’est-ce qu’une réaction instinctive ? On active le corps, mais l’esprit cogite. Départ à 9h30, retour prévu à 14h30 max. La majorité de la journée se déroulera en forêt avec des raquettes aux pieds. Ça monte, ça descend, croise un arbre, tourne de bord un autre arbre. Pis de la neige, partout, ça d’épais. Une étape collation nous attend. On arrive à l’endroit désigné, une équipe nous attend avec le sourire, un gravlax de saumon, des biscuits aux dattes et un gâteau à la cannelle spectaculaire.

L’étape de ski de fond sera mémorable. Nancy Eng de l’équipe des communications, une autre équipe et moi-même croiserons non pas 1, ni 2, ni 3, mais bien 4 orignaux dont 2 mâles qui bloqueront l’autre équipe, les forçant à ne pas dévaler la côte en sifflant pour les faire fuir, mais plutôt à penser à un détour. Sage décision.

La journée se termine par une rencontre détaillée préparant la sortie en montagne du lendemain aux monts Vallières.

Jour 3 – Les monts Vallières

Le départ est organisé en 3 départs. 7h30, 8h00 et 8h30. La veille au soir, on me désigne pour porter un des DVA lors de l’ascension. Détecteur de victime d’avalanche. On blague sur les avalanches et selon Jean St-Denis, professeur au département d’éducation physique, les chances sont quasi nulles, mais l’idée crée commotion dans mon chalet. Je serai dans le groupe de 8h30. Le but : on se rejoint tous au sommet. Aux sommets en fait. 940 mètres de montée. Nous ferons plus d’un sommet, car on peut les joindre d’en haut, il suffit de marcher sur des crêtes ou en forêt.

Le départ se fait sans anicroche, on chausse nos raquettes, on se dit qu’on est trop chaudement habillé, mais on commence. Les conditions sont couvertes, mais une fois dans le bois, c’est splendide : la neige recouvre les arbres qui plient sous le poids des tempêtes accumulées. L’ascension commence et très vite, j’ai chaud et j’ai une peur bleue d’arriver en haut mouillé. La solution : enlever des couches. On croise des groupes qui prennent des pauses, d’autres qui prennent le temps et d’autres totalement absorbés dans les discussions ou les encouragements.

Arrivés au premier sommet, on voit les premiers qui sont déjà loin devant nous, en file indienne au sommet d’une crête qu’on dirait à grand distance. C’est d’une beauté sidérante : la végétation est éparse, les sommets nombreux à se rejoindre à gauche et à droite en formes inégales mais belles. Puis, ici et là, dans notre champ de vision, des manteaux jaunes, bleus nous parviennent comme s’ils étaient à des distances folles. Il y a des moments comme ça où on se sent bien petits face à la nature.

Le vent nous fouette de partout, je ne sens plus mon nez et j’essaie de le cacher au chaud. On reste quelques minutes, on prend quelques photos, mais quand il fait froid et au grand vent, on essaie de rester immobiles le moins longtemps possible.

 

Nous rentrerons au campement sans anicroche, fourbus, mais fiers et contents d’avoir réussi. Le soir venu, on nous annonce que le lendemain sera une journée libre. Je me trouve deux compagnons de ski de fond et nous irons au lac aux Américains. Une petite boucle de 17 kilomètres.

Jour 4 – Le lac aux américains et la cire sur les skis

Le jour 4 sera mémorable pour Denis Carignan et Sébastien Richer qui me suivaient en montant les côtes en ski de fond. Lorsqu’on met trop de cire sous ses skis de fond, il se peut qu’on ait énormément de difficultés à monter, sauf sur les genoux. Un vrai canard avec les deux derrière moi qui me disaient de ne pas lâcher. Personne ne m’avait dit que les 8 premiers kilomètres étaient de la montée. H-U-I-T kilomètres de montée, des micro-descentes et de remontées. Ceci dit, la journée est belle, les pistes sont magnifiques et le bois a cet effet sur nous : on a l’impression d’être seuls au monde. On avance bien et au bout de 2 heures 30 de ski, on finit par arriver au refuge enseveli sous la neige et balayés par le vent. Nous sommes mouillés et malgré notre désir de nous réchauffer, nous allons tout de même prendre quelques photos au bord du lac. Magnifique nature qui nous entoure.

Départ du refuge. L’aller s’est fait en 2h30. Le retour s’est fait en 40 minutes de descente, descente et descente. Les cuisses me brûlent mais le vent me fouette et me rappelle que la gravité gagne toujours. Tout ce qui monte redescend. Nous avons un plaisir fou, tout file à vive allure. On arrive finalement au gîte et nous décidons d’aller au sauna et prendre une bière. Oh vie cruelle !

Jour 5. Mont Ernest Laforce et histoire de peanuts

L’ascension du mont Ernest Laforce m’a été vendue par les membres de mon chalet. Celles qui ont participé à l’édition de l’an dernier m’en parlent comme l’Everest, ou presque. J’exagère, mais juste un peu. À en croire mes colocataires, si j’en reviens, ce sera de justesse. J’en reviendrai bouleversé, mais pour une autre raison. Le départ est tôt. L’ascension se déroule somme toute bien, rien de catastrophique, ça monte, c’est vrai, mais on y arrivera. Le paysage est splendide. Les arbres sont lourds de neige et ressemblent à des fantômes. Nous gravissons la piste qui monte en zigzag entre les sapins chargés d’épaisses couches de neige. Peu à peu, le sentier devient plus étroit, la montée plus raide et la neige plus profonde. On monte et on approche du sommet. On débouche finalement au bout de deux heures trente d’ascension sur une petite clairière. On arrive et le groupe de départ nous attend ; tout le monde est content d’être arrivé ; on se change, on boit et on mange.  Je fais comme tout le monde, je me change, je bois, je partage mes collations et j’échange les sourires. Tout va merveilleusement bien.

Une partie de moi, appelons ça ma vision périphérique, voit Jean qui crache ma collation. Il crache et recrache. Bon. Je me demande ce qui se passe. Puis soudainement je fais le lien. Jean est le leader incontesté des ascensions, c’est lui qui part avec les premiers, qui trace le chemin, qui donne les conseils, mais c’est aussi celui qui rentre le dernier, le guide, la carte et le sourire. C’est lui qui a imaginé le projet Gaspésie. Imaginez un genre de Nelson Mandela qui ferait de la randonnée, genre de personne magnétique-rassembleuse-humble-souriante. Genre de personne qu’en haut de la montagne, tu te dis, il ne faudrait pas que quelqu’un lui donne des pinottes s’il est allergique. Bravo champion. Je n’ai pas pensé à son allergie aux arachides, lui non plus manifestement, et il a pigé dans ma collation…qui contenait sans aucun doute des arachides. Beurre d’arachide. 2h30 en haut de la montagne et il a oublié son épipen. Je fonds dans mon pantalon de neige. Lui est calme comme un moine, souriant comme d’habitude. De mon côté, je suis dans mes petits souliers, façon de parler.

Heureusement pour lui….et pour moi, une participante (ô lumineuse Gaëlle) avait du Benadryl dans son sac. Hop, 2-3 comprimés et plus rien n’y paraît. À la fin de la soirée, on en rit, on prend une bière, on chante des chansons et on raconte des anecdotes d’allergies. Tout est bien qui finit bien. Ouf !

Projet Gaspésie – Bilan d’un participant

Alors, est-ce que projet Gaspésie permet de vivre mieux ensemble ? Je ne connais pas toutes les couches du vivre ensemble à Maisonneuve et je ne suis pas certain de comprendre toute la complexité des relations humaines que cela implique au quotidien, mais une chose est sûre, la semaine en Gaspésie m’a permis d’apprendre à connaître environ 40 personnes que je côtoie de près ou de loin dans le Collège et s’il y a une facette du vivre ensemble qui m’a explosé au visage, c’est que ces 40 personnes sont dans mon collège et qu’elles contribuent à leur manière à en faire un endroit où j’ai envie d’être. Elles étaient là sous mes yeux, mais maintenant je sais qu’elles sont là. Ces personnes que je n’avais jamais croisé en 10 ans au collège et que je vois maintenant chaque semaine, ces personnes qui me saluent, me sourient, m’envoient la main, j’ai envie de leur dire merci. Merci de me donner l’envie de bâtir quelque chose de durable à Maisonneuve, moi qui, il n’y a pas si longtemps, voulait foutre le camp de cet endroit que je maudissais presque.

C’est ça le projet Gaspésie, c’est un état d’esprit ; c’est partir une semaine avec 40 personnes pour se remplir la tête d’idées, connaître les gens qui nous entourent pour qu’enfin notre milieu de travail soit plus qu’un endroit où l’on entre en ayant hâte de partir, mais devienne un lieu où il fait bon vivre.

Alexandre Lahaie, professeur d’allemand
Département de Langues

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