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Le 11 avril dernier, dans le cadre de la Semaine des autochtonies, se tenait à la salle Sylvain-Lelièvre une conférence de Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, et Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec, dans le cadre de la semaine des autochtonies. Félix-Olivier Riendeau, enseignant au département de sciences politiques, animait la rencontre qui s’est déroulée selon une formule de questions-réponses et portait plus précisément sur le leadership autochtone.

La première des questions abordait le parcours des deux invités. D’emblée, Viviane Michel s’est empressée de souligner que de tous ses titres et occupations, le plus important reste son rôle de mère de 6 enfants. Cette inscription dans la continuité des générations l’a amenée tout naturellement à l’enseignement de la langue et de la culture innues, en plus de suivre une formation en travail social. Engagée dans plusieurs causes, dont une longue lutte victorieuse contre les projets de barrages sur la rivière Moisie par Hydro-Québec, madame Michel déclare fièrement que c’est un droit que d’exprimer sa vision des choses quand on n’est pas content. Elle avoue ne jamais avoir eu de plans de carrière, elle s’est insurgée contre les injustices et les menaces : ce sont les autres qui, après avoir vu son engagement, l’ont « poussée » — selon ses mots — à occuper des postes de décision, jusqu’à la présidence de Femmes autochtones du Québec.

 La présentation de Ghislain Picard reprenait le même ton : l’engagement n’est pas motivé par des intérêts individuels, mais par le bien commun. Il a précisé avoir grandi à une époque où la mobilisation des Premières Nations n’existait pratiquement pas ; les peuples autochtones en savaient bien peu sur leurs propres origines, la transmission ne s’effectuait presque plus. Mais il a précisé qu’avant les moyens de communication modernes, on savait déjà que d’autres peuples autochtones luttaient pour leur reconnaissance. Monsieur Picard a ensuite parlé de son parcours académique, de son primaire passé au sein de sa communauté à Pessamit, son secondaire parmi les Blancs et son collégial à l’éphémère Collège Manitou (1973-1976), qui ouvrait le diplôme d’études collégiales à de jeunes Inuits, métis et Amérindiens tout en respectant leur culture. Il a abordé ensuite ses diverses activités dans le monde des communications dans les années 1970-1980, dans des radios communautaires autochtones entre autres, pour en venir à son rôle de chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, qu’il assure depuis 1992.

La question suivante portait sur les qualités requises pour occuper les fonctions des invité.e.s.  Viviane Michel a répondu que chez les Premières Nations, on observe surtout les intentions des gens pour choisir un leader parmi ceux et celles qui prennent la parole. Elle a souligné également combien le travail des leaders est reconnu dans les communautés. Ghislain Picard a enchaîné avec les difficultés de l’environnement politique des Premières Nations (manque de ressources, de reconnaissance) pour préciser qu’il faut avant tout de l’écoute pour être un bon leader : il y a 10 nations au Québec, donc 10 façons de voir les choses ; le devoir du chef est de favoriser le consensus. Le respect fait naturellement partie des vertus cardinales nécessaires au chef puisqu’il faut concilier des intérêts très différents: l’envergure de la population des nations, leur niveau de richesse, leur proximité ou leur éloignement des grands centres de pouvoir sont autant de caractéristiques qui font varier les besoins et les attentes. Enfin, il faut à un chef beaucoup d’humilité, en ce sens que la raison première de son engagement devrait toujours être la cause à servir et non lui-même.

La conférence aborda ensuite le fonctionnement des organisations autochtones. Viviane Michel a commencé par rappeler la genèse de Femmes autochtones du Québec : fondé en 1974, l’organisme visait à donner une voix aux femmes amérindiennes qui perdaient leur statut selon la Loi sur les Indiens en se mariant à un non-autochtone. Avec le temps, d’autres missions se sont ajoutées, comme la violence dans les communautés ou les agressions sexuelles. L’organisme est incorporé selon la loi québécoise, a une constitution, est soumis à une reddition de comptes, tient une grande rencontre annuelle ; les mandats des responsables durent deux ans et on limite le nombre de mandats à quatre. Chaque nation est représentée par un membre chargé de communiquer à l’organisme les priorités pour l’année. La présidente de Femmes autochtones du Québec occupe un siège à l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, avec droit de parole et droit de vote.

Avant d’expliquer le fonctionnement de l’Assemblée des Premières Nations, Ghislain Picard a souhaité déboulonner le mythe selon lequel la mobilisation autochtone serait apparue spontanément ces dernières années : on peut faire remonter ses racines aux débuts de la colonisation, entre autres avec la Grande Paix de Montréal (1701) à l’occasion de laquelle 39 nations se réunissaient pour signer solidairement cette entente avec la France. Monsieur Picard a cité également l’exemple de Deskaheh (Levi General), chef héréditaire iroquois qui, en réaction à la volonté du gouvernement canadien de destituer les conseils héréditaires autochtones pour instaurer des conseils élus, s’est présenté en 1923 devant la Société des Nations dans une tentative de reconnaissance des peuples autochtones — tentative soldée par un échec.

Le coup d’envoi de la mobilisation autochtone moderne est donné au Canada en 1969 avec la publication du Livre blanc de Jean Chrétien, alors ministre fédéral des Affaires amérindiennes, document qui prônait l’assimilation des Premières Nations à la population canadienne par la perte de leur statut d’Indien en échange d’une pleine et entière citoyenneté. La création de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador en 1985 s’inscrit dans ce mouvement. Contrairement à Femmes autochtones du Québec, la structure de l’Assemblée et son fonctionnement ne répondent pas aux lois ou aux normes officielles des gouvernements, ce qui explique son statut particulier : elle n’est pas un parlement autochtone — monsieur Picard a insisté sur le fait que seules les nations peuvent se gouverner et qu’il n’est pas lui-même un « chef des chefs » —, mais plutôt une instance par laquelle les 43 communautés du Québec et du Labrador peuvent arriver à des consensus et parler d’une seule voix.

Comme le sujet principal de la conférence était le leadership autochtone, les deux représentant.e.s des Première Nations furent invité.e.s à commenter l’attitude des leaders politiques canadiens et québécois à l’égard des autochtones. Monsieur Picard a tout de suite insisté sur l’aspect non-gouvernemental de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador pour expliquer qu’il n’y a pas de règle générale dans les relations entre son organisation et les gouvernements : chaque événement est une occasion de faire avancer la cause. La vigilance est de mise dans les relations avec le fédéral puisqu’il y a beaucoup de rattrapage à faire pour la reconnaissance des droits des Premières Nations et que le colonialisme est toujours présent chez les élu.e.s, dans les lois et dans les institutions. Il a noté un changement d’attitude réel au fédéral depuis l’élection de Justin Trudeau, mais a nuancé immédiatement en soulignant que c’est la fermeture quasi totale du gouvernement précédent en matière de revendications autochtones qui fait bien paraître l’actuel Premier Ministre.

Plusieurs projets de loi sont toujours sur la table au printemps 2019 et avec les élections qui arrivent en octobre prochain, on peut craindre que plusieurs ne meurent au feuilleton, dont des projets au sujet des langues autochtones, des jeunes, de l’environnement ou de l’harmonisation des lois canadiennes avec la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones. Au Québec, il a constaté un retard de la CAQ par rapport aux questions autochtones : il s’est dit prêt à donner sa chance au coureur, mais reste là encore vigilant.

 C’est au niveau municipal que Ghislain Picard a vu les changements les plus concrets, comme les nombreuses rencontres avec les maires organisées dans le cadre des festivités du 375e anniversaire de fondation de Montréal, la ville ayant d’ailleurs saisi l’occasion pour ajouter à son drapeau le pin blanc, symbole de paix chez plusieurs nations autochtones. Monsieur Picard a affirmé l’importance du municipal par sa proximité avec les populations.

De son côté, pour décrire l’attitude que les leaders autochtones doivent adopter dans leurs rapports avec les politicien.nes, Viviane Michel a utilisé la métaphore des loups — elle a précisé pour l’auditoire qu’il s’agissait de « bons loups » — qui rôdent autour des décideurs et décideuses afin de s’assurer que les réalités soient bien comprises et les promesses tenues. Elle a abondé dans le sens de Ghislain Picard en pointant le manque d’expérience du nouveau gouvernement québécois, le fait qu’à chaque changement de gouvernement ou de ministre, il faut reprendre à zéro les explications et les demandes, et le colonialisme toujours présent auquel aucun gouvernement ne se donne la peine de faire face. Elle a affirmé en fin d’intervention que seuls les autochtones devraient décider pour eux et qu’il serait souhaitable en ce sens qu’ils aient leurs propres gouvernements, même si le sous-financement les en empêche, les devoirs des chefs de communautés étant déjà plus grands et plus spécifiques que ceux des municipalités.

La courte période de questions du public a permis aux élèves de relancer les représentants sur divers sujets d’actualité. À la question du rapport idéal souhaité entre les Premières Nations et les gouvernements, Ghislain Picard a évoqué l’adoption de la Déclaration de l’ONU et l’implantation d’une instance permanente qui donne une voix aux autochtones auprès des gouvernements, instance dont il a été question par le passé au Québec, mais qui est restée lettre morte.

Les projets d’oléoducs et de gazoducs ont été abordés, Ghislain Picard déplorant que les Premières Nations soient toujours consultées en dernier, même quand les tuyaux doivent passer dans leurs territoires. Viviane Michel a ajouté que ces projets suscitent des débats déchirants dans les communautés, car si pour certaines ils sont inacceptables par leur impact environnemental, pour d’autres ils constituent une source essentielle d’emplois et de revenus, ce qui empêche de trouver facilement un consensus à ce sujet. Elle a ajouté également que dans ces causes, les femmes ont une longueur d’avance dans leur implication puisqu’elles sont par nature des activistes.

La dernière question de l’auditoire a porté sur l’objet que madame Michel portait au creux de son bras pendant la conférence. Elle a expliqué qu’il s’agissait d’une aile d’oiseau — sans plus de spécifications, une aile aux plumes noires qui couvrait la longueur de l’épaule au coude. Elle a souligné qu’en plus de ses fonctions politiques, elle était guide spirituelle et que cette aile constituait un outil précieux qui l’aide à se retrouver et à accomplir cette tâche humblement. Monsieur Picard a complété l’idée en précisant que lui n’avait pas d’aile parce qu’il n’a pas reçu ce genre d’appel. Il a donné l’exemple des joueurs de tambours dans les cérémonies sacrées qui sont réputés avoir rêvé au moins trois fois au tambour avant d’être digne d’en jouer.

Marc LeBlanc 
Département de Lettres

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